L’État belge est cité en justice pour répondre de la politique raciale qu’il a menée lorsqu’il avait la tutelle sur le Congo entre 1908 et 1960. 5 femmes métisses belgo-congolaises victimes de traitements inhumains et de la privatisation de leurs droits fondamentaux avaient décidé il y a quelques mois de poursuivre la Belgique pour ces violations des droits humains. Le procès en appel s’est tenu le lundi 9 et mardi 10 septembre 2024.
À la base de cette action au civil se trouvent cinq femmes qui ont été victimes de l’enlèvement et de la ségrégation des très jeunes enfants métis au Congo. Elles demandent que la justice condamne l’État belge pour avoir organisé ce système violent de discrimination raciale aux lourdes conséquences sur leur vie.
Cette plainte, qui est une première du genre en Europe, avait été plaidée en première instance en 2021.
Le tribunal civil de Bruxelles avait rejeté la demande des cinq requérantes, défendues par Me Michèle Hirsch, Me Christophe Marchand et Me Nicolas Angelet entre autres. Celles-ci ont ensuite interjeté appel.
Les 5 femmes nées au Congo entre 1946 et 1950 attaquent l’État belge en responsabilité civile pour crime contre l’humanité. Elles lui réclament des dommages et intérêts pour l’important préjudice causé lorsqu’elles ont été enlevées et ségréguées. Elles sollicitent aussi la production d’archives concernant leurs origines et leur histoire.
Nées de l’union d’un Belge et d’une Congolaise, durant la période où le Congo était une colonie belge, elles ont été arrachées à leur foyer pour être placées de force dans des orphelinats, comme la plupart des très jeunes enfants métis. Pour l’Etat colonisateur, il fallait cacher ces enfants, les empêcher de nuire, de se révolter contre le système colonial, où les Noirs n’avaient pas les mêmes droits que les Blancs.
L’État doit reconnaître le mal qu’il a fait aux “mulâtres”, expliquait Monique BITU BINGI à l’ouverture du procès en première instance. ‹‹On nous a détruits. Que l’état accepte ça. On réclame justice. Qu’il reconnaisse ce qu’il nous a fait. On appelait L’État papa. Donc notre papa doit reconnaître le mal qu’il a fait à ses enfants ››, a-t-elle dit.
Selon des documents officiels issus des archives coloniales, dévoilés par les avocats des plaignantes, des rapts d’enfants métis ont été organisés par des officiers de l’État belge et mis en œuvre avec le concours de l’Église. Les fonctionnaires de l’État colonisateur recevaient des instructions pour organiser les enlèvements des enfants issus d’une union mixte, en contraignant les mères à se séparer d’eux. Les enfants étaient placés dans des missions catholiques qui se trouvaient sur le territoire du Congo belge, mais aussi au Rwanda, loin de chez eux. Dès leur plus jeune âge – de quelques mois à cinq ans – les métis ont ainsi été arrachés à leur mère et à leur village natal par le recours à la force, aux menaces ou à des manœuvres trompeuses alors que ces enfants n’étaient ni abandonnés ni délaissés, ni orphelins moins encore ni trouvés.
En 2019, Charles Michel, alors Premier ministre, avait présenté ses excuses au nom de l’État belge pour l’enlèvement forcé et la ségrégation ciblée des enfants métis au Congo, au Rwanda et au Burundi. Mais, après ces excuses, l’Etat belge n’a pas adopté de loi de réparation. Et, malgré ces excuses, les avocats de l’Etat contestent la qualification de crime contre l’humanité.
Le tribunal de première instance a considéré que, si les faits pouvaient être qualifiés de crime contre l’humanité aujourd’hui, ce n’était pas le cas à l’époque. La défense soutient au contraire qu’au regard du droit international, il s’agissait déjà, alors, d’un crime contre l’humanité, parce que les faits (qui se sont déroulés entre 1948 et 1961) sont postérieurs au jugement du procès de Nuremberg, qui consacre pour la première fois le crime contre l’humanité. Elle met en avant qu’en 1948, un des tribunaux de Nuremberg a estimé que des faits commis par l’Allemagne, qui enlevait des enfants germano-polonais pour les faire adopter par des familles allemandes (et les nazifier), étaient constitutifs de crime contre l’humanité.
La cour d’appel de Bruxelles devra donc trancher. On estime que 20.000 enfants métis ont subi le même sort que les plaignantes. De ces deux jours de procès en appel, la radio communautaire basée à Bruxelles, Mara FM, nous informe que le tribunal statuera le 2 décembre 2024.
Grâce NGOMA